Deux yeux noisette, une truffe noire et un poil mousseux bleu profond, l’ourse scrute le lecteur, gravement. Pourquoi ?
L’histoire commence tranquillement. L'ourse dort en boule, elle marche derrière les boulots. Nancy Guilbert et Emmanuelle Halgand prennent leur temps pour installer le personnage en majesté. Magnifique dans un décor noir et blanc, très graphique où des ombellifères et des lichens habillent les arbres, elle semble vivre seule et maîtriser l’espace. Il n’en est rien, sa solitude est le résultat de sa défaite face aux hommes. Ces hommes sont bottés, gantés, encapuchonnés, armés de lances : quelques éléments graphiques installent le récit dans un univers inuit de légende. L’image où, de face, l'ourse affronte les hommes, bardée de piques et crocs apparents est très impressionnante. On comprend la rupture irréconciliable entre mondes animal et humain. Pourtant cette image en appelle une autre : de profil, nez à nez, l’ourse regarde et flaire… un enfant !
Le thème de l’enfant sauvé ou élevé par un animal habite les légendes et, de ce point de vue, l’histoire racontée ici est très classique mais le traitement graphique, très élégant dans la sobriété de ses lignes, et le raffinement des tissus, des formes ainsi que la tension narrative, très maîtrisée dans sa progression, emportent l’adhésion du lecteur et la transformation finale de l’ourse en étoiles, la Grande Ourse, donne une dimension cosmique. Un bel album.