Ce n'est pas qu'un livre de témoignage. Robert Antelme y fait aussi un véritable travail d'élaboration littéraire. Il s'efforce, par une langue d'une grande simplicité et d'une grande précision, dans une économie littéraire très pure, de dire l'indicible de l'expérience vécue. Comme le souligne Edgar Morin : « L'Espèce humaine était le premier, je dirai même le seul, livre qui fût au niveau de l'humanité, au niveau de l'expérience nue, vécue et exprimée avec les mots les plus simples et les plus adéquats qui soient. » Le texte est constitué d'un va-et-vient incessant entre la vie quotidienne de Robert Antelme, où finalement tous les jours finissent par se ressembler et une mise à distance, une réflexion purement intellectuelle sur l'univers concentrationnaire. De ce fait, le récit d'Antelme diffère de la plupart des témoignages puisqu'il peut apparaître par moments comme un essai. Cette mise à distance est d'autant plus remarquable qu'Antelme écrit alors qu'il n'est revenu des camps que quelques mois plus tôt.
Quand l'homme en est réduit à l'extrême dénuement du besoin, quand il devient "celui qui mange les épluchures", l'on s'aperçoit qu'il est réduit à lui-même, et l'homme se découvre comme celui qui n'a besoin de rien d'autre que le besoin pour, niant ce qui le nie, maintenir le rapport humain dans sa primauté. Il faut ajouter que le besoin alors change, qu'il se radicalise au sens propre, qu'il n'est plus qu'un besoin aride, sans jouissance, sans contenu, qu'il est rapport nu à la vie nue et que le pain que l'on mange répond immédiatement à l'exigence du besoin, de même que le besoin est immédiatement le besoin de vivre.